L’université et le drapeau haïtiens, grandes victimes et objets de mépris, brandis chaque 18 mai

Par le professeur Antoine NERILUS

Le savoir a toujours été tel un flambeau passant de mains en mains depuis l’existence des premiers êtres hommes de notre planète jusqu’aux temps modernes. Si l’on s’en tient à la vie en société mésopotamienne, pour aller plus loin, par exemple, le savoir avait une définition, qui n’a pas bougé d’un pouce à date, bien que la forme de transmission ait épousé des formes diverses, modernes et modernisées. En ces temps-là, on disait du savoir qu’il était divin et que la transmission était verticale, et son rôle phare consistait à servir et à faire vivre mieux les sujets.

Le savoir

Le savoir est un ensemble de connaissances ou d’aptitudes acquises par les études, par les expériences de tous types ou par autodidaxie. Savoir, c’est avoir présent à l’esprit un objet de pensée que l’on identifie et à propos duquel, pour le mieux cerner, on mobilise un ensemble d’idées, d’images, de comportements, d’attitudes et d’actions. Une fois le savoir eu (en termes d’acquis), on est, avec lui, dans le domaine de l’effectuation. D’ailleurs, Il consiste dans un ensemble de connaissances et de pratiques, qui permettent d’atteindre des résultats escomptés visant à changer la vie de l’Homme, qui qu’il soit, lesquelles sont accumulées par un individu ou un groupe d’individus et susceptibles d’être transmises et utilisées en faveur des communautés en question. On y reconnaît la maîtrise de procédures donnant naissance à des pratiques codifiées, des techniques, des méthodes, etc.

Ce qui est certain, c’est que le savoir qui ne se transmet
pas n’accomplit pas sa mission première qui est d’être utile à la race humaine pour ses besoins. Et le savoir créé, même non académique parfois, délaissé, ignoré ou jeté à la poubelle, doit être considéré comme une expression éloquente d’ignorance, d’apatridie ou de sclérose dont font montre ceux et celles qui le délaissent ou qui l’ignorent.

L’université: lieu oublié de découverte, de création et de transmission de savoir.

L’université, telle que connue aujourd’hui, a pris naissance en Occident, en Grèce, bien que les peuples de l’Orient eussent déjà eu leurs formes de temples de savoir, d’espaces de transmission de savoirs, de savoir-faire et de science depuis des millénaires avant les Grecs. La lumière de transmission du savoir n’a pas point pour la première sous le soleil hellénistique. D’ailleurs, les Grecs s’étaient abondamment ressourcé en Alexandrie et dans d’autres endroits du Levant en vue de puiser dans le savoir oriental et parfaire le leur.

Les scribes s’étaient formés aux pieds de grands sages connus et ont formé d’autres valeurs à leur tour.

L’échec électoral de Platon: une opportunité pour l’Occident et pour le monde entier

Environ dix ans après la mort de Socrates, le temps des voyages formateurs s’achève pour le philosophe, auteur de la République. Platon est quadragénaire. La démocratie grecque ayant craché sur Platon, ses piteuses expériences politiques constatées, il consacre sa vie au savoir, à la pensée, peut-être à construire une « utopie », mot qui n’existe pas encore, un lieu tout entier dévolu à cette vocation, un domaine privilégié où l’on vivrait la philosophie où l’on vivrait en philosophie. Ce sera l’ACADÉMIE. Platon en est tout à la fois le concepteur, aidé par quelques amis qui ont décidé d’y contribuer en finançant l’entreprise, le maître exclusif et, bien sûr, la tête pensante.

On date la fondation de ce premier grand temple de savoir vers 387 A.J, dans la forme voulue par son créateur et il durera trois siècles, jusqu’en 86 de notre ère.
Le nom vient du domaine que Platon a acheté pour réaliser son projet, situé près du tombeau d’Académos, qui sauva Athènes en révélant aux Dioscures, Castor et Pollux, où se trouvait Hélène, enlevée par Thésée. La propriété se trouve à un kilomètre et demi au nord-ouest d’Athènes, le long d’une large avenue bordée de mausolées qui gardent la mémoire de héros militaires de la cité. Le lieu lui-même est entouré d’un haut mur et abrite un vaste jardin. On y trouve un sanctuaire d’Athéna, un gymnase, des bâtiments dédiés aux cours et à la vie en communauté, ainsi qu’une importante bibliothèque. De cette création partent toutes les autres universités modernes et écoles supérieures du monde moderne.

L’université sert et dessert d’abord l’État où elle se situe, puis le monde

Quand on dit que l’université est créatrice de savoir, elle le crée pour servir l’État dans lequel elle évolue. La société en bénéficie. C’est l’université d’un État qui pense, la première, la solution à apporter aux maux rongeant sa société, et ce, dans ses compartiments divers. C’est elle qui pense même la pensée des décideurs de l’avenir de l’État en question. Elle panse également les blessures sociales, économiques, culturelles. Elle conçoit la guérison des maux divers inhérents même à la vie en communauté. Donc, l’université est « penseuse » de projets, de solutions et panseuse de plaies à bien des égards pour la survie, le bonheur et la pérennisation du bien-être collectif, d’abord dans l’État coiffant l’université, ensuite dans d’autres contrées du monde.

Il est donc inconcevable que des dirigeants ignorant le rôle de cet espace académique n’y accordent l’importance nécessaire et adéquate pour y puiser des solutions et même procéder par anticipation dans une démarche scientifique de gestion politique, économique et sociale. Plus d’un ne parvient pas à comprendre pourquoi en Haïti les simples devoirs des étudiants à l’université, leurs mémoires, leurs thèses, ne puissent pas constituer de véritables terroirs ou des puits de savoir où se rendre pour pallier aux problèmes auxquels le pays fait face. Les devoirs académiques, les mémoires et les thèses n’ont de valeurs véritables qu’en contribuant à aider le pays ayant vu naître ces chercheurs, étudiants, en vue de l’émancipation ou de la beauté de l’État. Beauté, dans le sens d’Émmanuel Kant. Quand on parle de la beauté de l’État. On pense à un État qui plaise universellement, sans concept restreint particulier. Un État qui puisse faire de la science sa boussole; or la science se trouve logée dans une très forte proportion à l’enseigne universitaire, d’où la nécessité d’y avoir recours sans se faire prier si l’on veut vraiment construire, préserver la vie de ses pairs et faire vivre la vie à ses concitoyens.

Quand les épidémies surgissent, l’État se doit d’avoir recours à son université et à ses universitaires, à moins qu’on n’ait point ou point suffisamment la compétence ou la filière scientifique en question assez développée chez soi, d’où la nécessité en coopération internationale en santé et en d’autres filières. Mais, le premier regard balayeur-quêteur doit être local. La valorisation de son savoir, de son terroir.

Quand les troubles socio-économiques et politiques assaillent l’État jusqu’à vouloir l’anéantir, c’est à la porte de son université qu’on frappe, en tout premier lieu, pour déterrer les prescriptions, les suggestions, les recommandations cachées dans les productions de savoir pour se colleter avec les urgences et aux besoins de la société.

Haïti en pleine agonie entre improductivité et antiproducvité universitaires

On dit de l’université haïtienne qu’elle ne produit pas ou pas suffisamment. Mais l’improductivité universitaire haïtienne émane de l’incompréhension des « élites dirigeantes » de la mission directive qu’a l’université et de son rôle accompagnateur dans le progrès scientifique. Pour avoir la production, une croissance en production universitaire, la valeur de l’université doit être au centre des intérêts de ceux qui dirigent l’université et la cité. Si la production universitaire n’a pas de valeur, si elle ne fait jamais objet de suivis, qui va continuer à produire et pour quoi faire ? Si l’étudiant lambda soutient son mémoire sur comment avoir de meilleures constructions sismorésistantes, par exemple, ce doit être une référence pour l’État en question pour les besoins de la société et cela encouragera ainsi tous les autres chercheurs dans d’autres domaines à penser pour le pays. Très souvent, on cherche ailleurs en négligeant sciemment et expressément ce que l’on a chez soi. Cela détruit l’université et efface sa mission. L’université haïtienne, si elle est improductive ou peu productive, cela est dû à l’antiproductivité des dirigeants de l’université et de l’État. On concluerait, peut-être à raison, que nos « belles têtes » sont contre nos productions locales en refusant de les utiliser pour répondre aux besoins du pays la plupart du temps.

On part du postulat que l’université en Haïti, qu’elle soit privée ou publique, est haitienne. Quand on parle d’universités haitiennes, on voit les deux ne faisant qu’une seule. Car, en réalité, tout pays a une seule université qui l’aide et qui le fait croître de diverses manières. Bref.

La crise sécuritaire sévissant en Haïti depuis tantôt plus de 6 ans ne pourrait-elle pas être résolue à l’aide d’outils produits par nos universités haitiennes ? Oui. Cela se pourrait bien et toutes les compétences et productions sont dans nos poubelles, mais on cherche ailleurs, au-delà des frontières haïtiennes. Nul n’est prophète en son pays. Haïti en est l’exemple tangible. Il est plus difficile et même impossible d’être écouté, considéré par ses compatriotes ou ses proches que par les étrangers. Alors que nos universités, malgré leurs limites liées à un infime budget produit encore des ressources valables dans plusieurs grands champs de compétence. Arrivés ailleurs, ils excellent et font bien leurs preuves. Les gouvernements haïtiens qui se sont succédé n’ont pas accordé suffisamment de valeurs aux productions universitaires et en vont à l’encontre même dans leur mode d’agir. On ne doit pas tolérer une élite universitaire epistémophobe, exposant un déni et un mépris épatants de tout ce qui est sien, cassant ainsi tout élan universitaire en matière de production, de recherches, faisant par ricochet une apologie tacite de la paresse intellectuelle, de la disparition de l’État; car si on ne se souciera pas des travaux; à quoi bon s’y adonner, se questionnera-t-on. Si on ne les utilisera pas dans les prises de décisions, c’est que l’on veut s’en défaire.

Le drapeau haïtien vu hypocritement chaque 18 mai

La première définition du concept « drapeau » est militaire. D’ailleurs, l’utilisation de pièces d’étoffes comme symbole d’État ne date qu’à la deuxième moitié du dix-huitième siècle. Avant, un drapeau ne symbolisait ou n’identifiait qu’un groupe, qu’une tribu, qu’une troupe militaire, qu’un régiment, etc.

Aujourd’hui, à voir tel ou tel drapeau, l’allusion à tel État est faite, avec toutes les valeurs exigées et garanties dans les relations internationales ou en droit international public. Chaque État a un drapeau. Que l’État soit de type unitaire ou fédéral. C’est un symbole d’union, d’appartenance. Un identifiant, un insigne. Les drapeaux communiquent et peuvent irradier de significations diverses. Mais en Haïti, on n’y pense sérieusement que le 18 mai, soit le jour rappelant le congrès de l’Arcahaie. Dans les écoles, le drapeau n’est plus hissé à la hauteur de la gloire historique haïtienne. Un drapeau dont on ne s’aperçoit de l’existence que chaque 18 mai. Le même sort réservé d’ailleurs à l’université.

On n’inculque plus aux nos écoliers et étudiants les notions liées à l’amour à porter pour notre drapeau, hormis le débat sur le vrai drapeau haïtien dans cet article déjà trop fleuve.

Épargnez-le-moi, car ma position sur cette question reste attachée à la charte impériale du 20 mai 1805, mais ceci n’empêche pas cela.

Les discours assourdissants concernant le drapeau haïtien et l’université ne pleuvent que chaque 18 mai. On ne fait pas vivre aux Haïtiens la signification non plus de son drapeau, pour les pousser à l’aimer ni à le porter au fond de leur cœur. Le respect du drapeau commencerait avec le respect de la dignité, de la vie, de chaque Haïtien à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire que nous ont légué Dessalines et les autres martyrs haïtiens. Chaque acte antipatriotique posé contre Haïti, chaque droit bafoué, est une défécation sur ce grand symbole qu’est le drapeau.

Conclusion

Tous nos symboles ont été détruits, nos repères brisés, nos plaies ravivées. Haïti, pour être reconstruite, doit d’abord repenser son université pour pouvoir se servir, elle doit l’outiller et y accorder de la valeur, elle doit redorer le blason de son drapeau. D’où la persistance de l’énigme constante nous tenaillant : l’État haïtien doit-il construire son université pour que celle-ci l’embellisse ou est-ce à l’université une fois construite ou reconstruite de reconstruire l’État d’Haïti ? Le drapeau haïtien est-il vraiment à chaque Haïtien même si ce dernier ne jouit pas des droits conférés par les étoffes dans leurs significations ?

Où cachera-t-on le drapeau si d’aventure reparaissent nos tyrans auxquels nous avons fait appel? Par quel(s) drapeau(x) le nôtre sera-t-il superposé quand ce jour de honte, comme un camouflet, nous adviendra à tous et à toutes?

À suivre…

Professeur Antoine NERILUS, normalien supérieur, journaliste, spécialiste en gouvernance de l’État, doctorant en sciences politiques appliquées.