Par professeur Antoine NERILUS
Les partis politiques, quelle que soit la tendance qu’ils épousent, sont censés occuper un rôle clé dans le jeu politique d’une société humaine et, par voie de conséquence, dans la bonne santé démocratique d’un État. Ici, le concept « démocratie » est strictement pris dans le sens du respect de tous les droits inaliénables de l’humain dès le stade fœtal jusqu’au repos de sa dépouille mortelle, car dans un État digne du nom, « même les morts ont des droits ». Ce n’est pas insolite.
En effet, outre leur fonction de support de la démocratie (investiture des candidats, financement des campagnes électorales, renouvellement du personnel politique, endoctrinement des membres, formation universitaire, technique, civile et militaire des cadres…), les partis politiques devraient toujours être un intermédiaire privilégié entre les citoyens et la classe politique. Autrement dit, un parti qui n’accède pas encore au pouvoir serait en attente d’aller répondre aux desiderata du peuple qui lui en confierait la lourde et noble tâche. Je parle des partis politiques dignes du nom, à la Duverger. Ces dernières décennies les ont, cependant, vus s’éloigner de la tâche qui leur est impartie, laissant, ainsi, craindre des risques pour l’indispensable vivre-ensemble en société. Dans les sociétés plus avancées, les politologues ont tenté d’apporter certaines réponses et/ou explications à ce problème, notamment en termes d’encadrement, par leur savoir et degré d’expertise. Mais, ces réformes et consultations apparaissent insuffisantes. Aussi, d’autres solutions doivent-elles être envisagées.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, l’apport des partis politiques à la jeune et très chétive démocratie haïtienne post Duvalierienne et d’analyser, dans une seconde partie, les contestations dont ces derniers font, aujourd’hui, l’objet et les réponses qui peuvent leur être apportées.
L’ expérience démocratique ratée post-Duvalier: les partis politiques vus sous l’angle de l’intermédiarité État-société: Durant tout le 21ème siècle, soit avant 1986, même si l’on parlait au sein de pléthore de partis politiques de velléité de démocratisation de la politique, ce n’est qu’après la chute de Baby doc que l’on va essayer de faire pousser à la démocratie ses premiers balbutiements même si les désirs de libertés, ces germes, voulaient déjà s’assouvir depuis avant l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er.
On ne peut oublier les rudes et sanglants combats menés à la fin dix-huitième siècle et au début dix-neuvième, incluant les luttes fratricides d’après ces dates, qui, elles ne visaient pas la satisfaction des besoins des sujets, et ce, jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas ça notre sujet.
Après Jean Claude, on parle de « bamboche démocratique » pour exprimer le libertinage, le laisser-faire et le laisser-dire, le dénigrement outrancier, la banalisation de l’autorité, la déssacralisation étatique même. C’est une véritable « révolution » en termes de liberté d’expression rien que pour se défouler, pour se vautrer dans tout ce qui est merdeux, néfaste à la santé d’un État, après plus de 55 ans de bâillonnement institué par les dictatures qui s’étaient succédé de Dartiguenave à Jean Claude Duvalier. Les hommes et femmes politiques de la lutte des années 80 qui va aboutir au déracinement du régime en 1986 en avaient marre de la dictature mais ne savaient ce qu’ils voulaient ni n’avaient de projets ayant pu guider le peuple haïtien vers le développement durable, la technologie, la science, la jouissance des droits sociaux, économiques, culturels, civiques, politiques et sécuritaires.
Ils ont fait de la population une béquille pour s’enrichir ou se tailler une place plus aisée dans la stratification sociale par rapport à leur origine très souvent pauvre ou misérable. Leur pauvreté et misérabilité ne seraient pas du tout le problème, mais leur manque de triture, de préparation, de formation adéquate pour devenir gestionnaires de la Res Publica, en plus que leurs situations de tripes vides -gros désavantage- étaient en défaveur des populations souffrantes. Ils ont fait du peuple leur échelle de prédilection pour s’enrichir, devenir notoires, visibles, ce qui leur permet d’être toujours sur la table des discussions et négociations politiques pour clouer, après ententes juteuses, le pays sur la croix de la condamnation multiforme, tout en s’enrichissant, eux et les leurs. Un malade mental, semblant être en très bonne santé, a traité les tenants des partis politiques de la fin des années 80 et 90 de « machann pwonmennen= vendeurs ambulants ». Une traduction mot à mot. Ils se plient aux plus offrants. La question de la patrie ne les intéresse point. Ceux qui, d’ailleurs, sont morts le sont avec leurs petites entreprises à but lucratif que sont leurs petits partis politiques de moins de 25 membres qu’ils ont fondés et pris en otage, la plupart du temps, mais qui sont de véritables caisses de résonance. On citera deux ou trois parmi ceux ayant emporté avec eux leurs partis, en laissant les autres ensevelir leurs morts: Hubert De Ronceray du MDN, Louis Déjoie du MPH, etc.
Des partis pour la plupart sans plans, sans programmes, sans école de pensée interne, sans rêve patriotique, sans idéologie, ni doctrine économico-politique, sans aucun programme écrit. Que des slogans! Pourtant, ça rapporte gros, soit en argent ou en notoriété, mais le pays continue de dépérir, les intellectuels de ces partis s’avilissent et se prostituent à la stupéfaction de tous. Bref,la longévité des partis politiques haïtiens se mesure à celle de leurs fondateurs.
La mission que se donnent les « structures politiques » est celle consistant à renverser les pouvoirs établis pour jouir à leur tour des privilèges que confère le pouvoir politique. Je parlerais d’impatience politique. Un mandat de 5 ans est une éternité pour les partis politiques quand ils ne sont pas au pouvoir, alors qu’aggripés à l’administration publique, les jouisseurs ne veulent pas lâcher d’un millimètre la mamelle étatique. Nos partis n’ont pas comblé les attentes escomptées au nom de la chanson démocratique qu’ils entonnaient sur tous les toits après le déchoucage des Duvalier.
Restons sur la première réalité: La terrible maladie de l’impatience génico-politique. Les partis se fusionnent, s’allient, pour renverser tout pouvoir établi constitutionnellement. Sauf les pouvoirs de facto seront pour la plupart exemptés car ils permettent beaucoup plus de gabegies et de partages des deniers publics par des détours et des stratégies qui charment les corrompus. Après chaque élection, l’ambition et la folie politique se font sentir. La synergie est forte, dans ce cas, pour pouvoir s’attaquer à la nouvelle équipe, surtout quand ils sont aidés par la classe économique qui, elle, peut déjà avoir ses problèmes inavoués avec l’équipe au pouvoir que les partis entendent déboulonner. C’est toujours aux politiciens qu’il incombe le job sale de chasser les gouvernements en brandissant la misère du peuple. Et, c’est l’unique occasion pour eux de s’entendre.
Pourtant, ils ne le feront pas pour conquérir le pouvoir par les urnes. La preuve en est tellement grande qu’en 2000, aux élections du 28 novembre, il n’y avait ni entente ni alliance valables pour gagner, mais 3 ans après, partis politiques et classe économique dominante se sont alliés pour renverser Jean Bertrand Aristide.
Encore en 2006, les partis ne se sont pas coalisés pour propulser Manigat au pouvoir face à Préval, mais en 2008 ils ont essayé, sans succès, par le truchement du mouvement « Grangou Klowòks », de chasser le très intelligent Préval qui les a tous maîtrisés et battus tactiquement à plate couture.
La fin du mandat de Martelly n’était pas du tout facile, et il a fallu un Evans Paul pour calmer les rues et les esprits pendant ces turbulences récurrentes dont font toujours l’objet les pouvoirs élus en Haïti.
Face à Jovenel Moïse, la division était encore une fois à son paroxysme pour la prise du pouvoir. Au moins 10 candidats en face du jeune entrepreneur de l’époque. Ils ne s’étaient pas alliés pour accéder au pouvoir, mais durant la même année de l’investiture de Jovenel Moïse, hormis les erreurs de ce dernier, ils (les partis) étaient tous à l’unisson contre le nouvel élu dont ils voulaient avoir la tête, coûte que coûte. Ils tenaient à l’abbatre par tous les moyens imaginables.
Le premier Ministre Ariel Henry, issu d’aucun parti organisé connu, étant de facto, n’a pas subi les tourments de Jovenel, de Martelly et d’Aristide, tous des élus, d’autant que tous les partis politiques ont été littéralement subjugués, agenouillés, grâce à sa capacité de gestion de l’humeur de ses adversaires politiques jadis peu malléables face à d’autres, sachant que le neurochirurgien n’est pas un élu, ce qui le contraint à partager généreusement le gros gâteau politique avec celles et ceux qui veulent en vivre, pour la pérennisation d’un pouvoir sans mandat légal, ni légitimité.
Les élus, depuis après 1986, ont toujours été d’illustres inconnus
La faiblesse des partis permet l’apparition de novices en politique à la tête de l’État à chaque scrutin, sauf le cas Manigat en janvier 1988, fondateur du RDNP en 1979, dont l’élection fut entachée de critiques.
De Jean Bertrand Aristide jusqu’à Jovenel, les présidents n’avaient jamais connu la moule d’aucun parti politique structuré. Des partis et plate-formes créés pour l’occasion, oui. Juste Quelques mois avant les élections. Toujours des héliportés, des catapultés politiques, parce que les partis n’existent que sur du papier avec des gourous à leurs têtes sans contact direct ni histoire avec les citoyens. Et, l’histoire fâcheuse peut toujours se répéter. Ne le souhaitons pas.
De 1993 à 2023, Haïti a connu: MINUHA, MANUH, MITNUH, MIPONUH, MICAH, MINUSTAH, MINUJUSTH, BINUH, pour très peu de résultats, d’aucun diraient pour zéro résultats, bref, sans rien laisser de construit, de pérenne, d’institutionnalisé. Et la danse se poursuit autour de la chaise…
Puisse cette fois-ci être l’exception à cette macabre règle qui semble être inviolable !
Si entre 2023 et 2024 des étrangers ont à fouler le sol haïtien, c’est à cause de l’inexistence, la faiblesse, la mauvaise posture de la société politique qui n’a jamais pu dégager une solution consensuelle, viable, visant le sauvetage national. Ils ne s’entendent jamais pour une cause qui sauve.
Les forces étrangères n’ont pas choisi d’envahir Haiti, mais notre intransigeance et notre crétinisme y ont fait appel. Non. Ce n’est pas une invasion. Notre insensibilité aux calamités populaires va causer une énième présence étrangère en Haïti, ce qui malheureusement va constituer du baume au cœur de centaines de milliers de gens qui ont fui leurs demeures depuis tantôt 5 ans pour certains, 3 et 2 ans pour d’autres. 5 ans de crises internes incessantes sans aucune possibilité de consensus.
Nos structures politiques stériles et ridicules sont unanimement responsables du déploiement imminent des forces étrangères en Haïti pour venir juguler les maux que nous nous plaisions à admirer impitoyablement alors que la mort marchait partout dans nos villes à visage découvert. La population, qui n’en peut plus, crie victoire avant qu’elle ne soit enterrée, à la différence, cette fois-ci, par des mains étrangères et non-sœurs !
Un fait est certain, celles et ceux qui vivent les assauts quotidiens des gangs accepteraint de trouver un pacte même avec Lucifer si cela leur pouvait apporter rien qu’une bouffée d’air temporaire, malheureusement. Certaines zones de la commune de Pétion-Ville telles que (Duvier, Lespinasse, Calbasse, Greffin) sentent la charogne à cause de tas de cadavres humains en décomposition. On butte sur des membres humains couverts de mouches partout là-haut. Ils ont été criblés de balles dans leurs jardins, serpettes entre les mains, par des terroristes haïtiens armés jusqu’aux dents à la solde de l’on ne sait qui. Les bétails, privés de leurs propriétaires, meurent de soif et de faim. Désossés.
Nos élites politiques devraient avoir grand-honte de leur persistance dans des infantilismes gravissimes pendant trop longtemps au détriment des intérêts supérieurs de la nation. D’ailleurs, ils ont participé par leurs manœuvres empiriques et dépassées à défaire ou empoisonner la fragile cohésion sociale qui tentait de voir le jour après les cas de lynchage des tonton-macoutes lors de la tentative de démolissement de la » sincère dictature ».
Nos partis doivent se réinventer et constituer des terroirs de futurs gérants responsables des affaires de l’État. Ils ne doivent pas exister rien que pour faire pression sur les tenants du pouvoir pour leur extorquer seulement des miettes sous formes d’emplois dans l’administration publique.
Là où les partis politiques et la société civile sont forts, la machine étatique est mieux huilée, les besoins de l’humain sont prioritaires en tout et les casses sociales sont de rares exceptions à la règle de la stabilité économique et politique.
Maintenant qu’on a pas pu nous hisser à la hauteur de la résolution de nos problèmes, aurons-nous le courage de gagner les rues pour de nouvelles demandes de désoccupation dans 3 ou 4 ans sans avoir d’abord fait l’acte de contrition nécessaire pour ensuite nous unir en tant que frères et sœurs haïtiens ? Nous avons toujours prétexté que nos institutions telles que l’Armée et nos services d’intelligence sont budgétivores, ne paierons-nous pas, de nos deniers, la force multinationale comme cela se doit et sera-t-elle nôtre pour toujours pour les besoins de la patrie commune? Quels sont les efforts patriotiques valables qui ont été consentis par nos acteurs locaux qui pourraient nous éviter ce que ces forces d’horizons divers pourraient nous apporter de létal ou de désavantageux à l’avenir? L’arrivée desdites troupes sera-t-elle la solution à notre problème pluridimensionnel et chronique?
Professeur Antoine NERILUS, Normalien Supérieur, Traducteur, Journaliste, Doctorant en Sciences de Politiques…
Ce 5 octobre, 2023.