
Antoine NERILUS
Le 12 juin 2025 marque un tournant abrupt et dramatique dans la politique migratoire américaine.
L’annonce, confirmée en exclusivité par CNN et appuyée par un avis officiel du Département de la Sécurité Nationale (DHS), met fin au programme de « parole humanitaire » connu sous le sigle CHNV, destiné aux ressortissants de Cuba, d’Haïti, du Nicaragua et du Venezuela. Ce programme, instauré sous l’administration de Joe Biden, avait permis à plus de 530 000 migrants d’obtenir un permis temporaire de résidence et de travail aux États-Unis, leur offrant un répit face à des situations politiques, économiques et sécuritaires catastrophiques dans leurs pays d’origine. Ce qui, il y a encore quelques jours, était salué comme une initiative humanitaire exemplaire, est désormais aboli d’un trait de plume par l’administration Trump, fraîchement réinstallée au pouvoir.
D’un point de vue juridique, cette révocation signifie l’annulation immédiate du statut légal de ces centaines de milliers de personnes. En d’autres termes, ces migrants sont sommés de quitter le territoire américain sans délai, sous peine de déportation forcée. Une telle décision, radicale et soudaine, soulève des inquiétudes majeures. Elle rompt avec le principe de non-refoulement inscrit dans le droit international, selon lequel nul ne peut être renvoyé dans un pays où il risque la persécution, la torture ou d’autres traitements inhumains. Or, les contextes politiques et humanitaires des pays concernés sont loin de s’être améliorés depuis l’entrée en vigueur du programme CHNV en 2023. Que ce soit à Cuba, où les dissidents sont pourchassés, en Haïti, ravagé par le chaos institutionnel et les gangs armés, ou encore au Venezuela, marqué par la répression et l’effondrement économique, le retour forcé équivaut pour beaucoup à un saut dans l’abîme.
Cette décision présidentielle, bien qu’attendue par certains analystes en raison des promesses électorales de durcissement migratoire de Donald Trump, n’en reste pas moins brutale dans sa mise en œuvre. Aucune période de transition, aucun mécanisme d’appel, ni même un encadrement humanitaire n’ont été prévus. Le choc est d’autant plus profond que de nombreuses familles avaient commencé à s’enraciner : des enfants sont scolarisés, des adultes travaillent légalement, certains bénéficient même de soins médicaux essentiels. Désormais, ces vies patiemment reconstruites sont menacées d’un effondrement total. Il est donc légitime de se demander si une telle décision, en plus d’être politiquement polarisante, ne représente pas une atteinte grave à la dignité humaine.
Par ailleurs, cette révocation suscite une onde de choc sur le plan social et politique. Des organisations de défense des droits humains dénoncent une mesure cruelle et précipitée. Plusieurs élus démocrates, à la Chambre comme au Sénat, ont exprimé leur consternation, qualifiant la mesure d’injustifiable. Quant aux communautés concernées, elles se disent trahies et abandonnées. Des manifestations de protestation ont éclaté dans diverses villes, notamment à Miami, New York et Houston, où vivent de fortes concentrations de migrants issus des quatre pays ciblés. La tension monte également dans les centres d’accueil et les services sociaux, submergés par les demandes d’assistance et d’informations de personnes désormais plongées dans l’insécurité juridique et psychologique.
En définitive, la suppression du programme CHNV apparaît comme une démonstration éclatante du retour à une politique migratoire de fermeté, voire de rejet, sous l’administration Trump. Elle marque la fin d’un court moment d’espoir pour des milliers d’êtres humains en quête de protection.
Loin de constituer une simple mesure administrative, cette décision reconfigure en profondeur les rapports entre les États-Unis et certaines de ses diasporas les plus vulnérables. Alors que la communauté internationale observe avec inquiétude cette évolution, une question cruciale demeure : l’Amérique peut-elle encore se prétendre terre d’accueil quand elle tourne le dos à ceux qu’elle avait elle-même invités à espérer ?
Antoine NERILUS.