
Professeur Antoine NERILUS
Le 1er mai 2025, l’administration du président américain Donald Trump, toujours figure de proue du Parti républicain, a officiellement proposé de désigner certaines puissantes coalitions de gangs armés haïtiens comme Foreign Terrorist Organizations (FTO) et Specially Designated Global Terrorists (SDGT). Cette initiative, largement relayée par des organes de presse tels que The Washington Post et CNN, s’inscrit dans une volonté affichée d’adopter une réponse plus ferme face à la montée vertigineuse de l’insécurité en Haïti, où des groupes criminels lourdement armés se sont arrogé le contrôle de vastes pans du territoire national, y compris la capitale Port-au-Prince.
Une telle qualification emporte de lourdes conséquences sur les plans juridique, diplomatique et financier. En vertu de la législation américaine — notamment la Section 219 de l’Immigration and Nationality Act pour les FTO et le Executive Order 13224 pour les SDGT — cette désignation autorise le gel immédiat des avoirs financiers des entités visées et de leurs membres sur le sol américain, interdit toute transaction avec eux et rend passible de poursuites pénales quiconque leur fournirait un soutien matériel, technologique ou logistique.
Toute collaboration directe ou indirecte avec ces groupes devient dès lors une infraction fédérale grave. En outre, les individus identifiés comme affiliés à ces structures peuvent être interdits de territoire ou expulsés des États-Unis.
Cette mesure vise particulièrement les deux principales confédérations criminelles opérant en Haïti : le G9 an Fanmi e Alye, dirigé par Jimmy Chérizier alias « Barbecue » et aujourd’hui rebaptisé Viv Ansanm, ainsi que la base armée GranGrif de Savien, dans le département de l’Artibonite. Ces entités sont accusées d’atrocités multiples : massacres de civils, enlèvements en série à des fins de rançon, trafic illicite d’armes et de stupéfiants, et attaques systématiques contre les institutions républicaines. Selon le Council on Foreign Relations, elles sont en grande partie responsables de l’effondrement de l’ordre étatique depuis 2021.
Cette désignation ne se limite pas aux exécutants armés : elle vise également les réseaux de soutien logistique, politique ou financier, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Les membres de la diaspora impliqués, les trafiquants transnationaux et certains membres influents de l’élite économique haïtienne soupçonnés de financer ces gangs pourraient faire l’objet de sanctions sévères.
Conformément aux dispositifs de lutte contre la criminalité transnationale organisée, ils peuvent se voir imposer des interdictions de voyage, le gel de leurs avoirs, des restrictions bancaires, ainsi qu’une coopération judiciaire renforcée à l’échelle internationale. De plus, l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) autorise le président des États-Unis à prendre des mesures punitives contre toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui contribue à appuyer des organisations terroristes désignées.
La portée symbolique et stratégique de cette désignation est considérable. Sur le plan du droit international humanitaire, en classant ces gangs dans la catégorie des groupes terroristes, Haïti se voit renforcé dans sa légitimité à employer la force armée contre eux. Cela autorise l’État haïtien, dans le respect des Conventions de Genève et des principes de distinction et de proportionnalité, à mobiliser tous les moyens conventionnels — y compris drones, artillerie lourde, unités spéciales — pour neutraliser, voire anéantir, ces entités hostiles. Cette requalification transforme la lutte contre les gangs en une opération antiterroriste, ouvrant la voie à une doctrine d’intervention plus rigoureuse et plus directe.
L’histoire récente offre des précédents : les FARC en Colombie ou encore les milices islamistes en Somalie ont été confrontées à ce type de désignation, ce qui a considérablement affaibli leurs capacités opérationnelles en tarissant leurs financements et en les isolant sur le plan diplomatique. Toutefois, ces mesures, si elles sont puissantes, doivent s’inscrire dans une stratégie plus large. Sans une coordination régionale étroite, un soutien matériel substantiel aux forces haïtiennes, et un dispositif de contrôle renforcé des frontières — notamment pour interdire l’acheminement illicite d’armes et de munitions —, leur efficacité risque d’être entravée.
Il serait donc opportun que les États-Unis, pour une période transitoire d’au moins cinq ans, déploient en Haïti des experts en sécurisation frontalière et investissent dans l’étanchéité des frontières terrestres et maritimes.
Ainsi encadrée, cette initiative controversée pourrait constituer un tournant majeur dans l’effort international pour éradiquer la menace que représentent les gangs armés haïtiens et restaurer, enfin, l’autorité légitime de l’État.
Prendre ces mesures si drastiques est formidable et encourageant, néanmoins, ne pas les appliquer pourrait envenimer la situation sécuritaire en Haïti !
Antoine NERILUS, citoyen engagé, journaliste, normalien supérieur, professeur à l’Université d’État d’Haïti, doctorant en sciences politiques et relations internationales.