
Par Antoine NÉRILUS
L’ancien sénateur Moïse Jean-Charles, ancien maire de Milot, figure toujours aussi loquace du paysage politique haïtien, a récemment sonné le glas du Conseil présidentiel.
Selon ses déclarations relayées sur les ondes de Magik 9, l’instance tant espérée n’a été qu’un « piteux échec ». Une analyse pour le moins tranchée, venant d’un homme dont le parti, Pitit Dessalines, était pourtant bien représenté au sein de cette même structure, où il a, selon toute apparence, fait chou blanc.
Moïse, jamais avare d’une pirouette rhétorique, s’est empressé de dédouaner sa formation politique, arguant qu’elle n’était qu’une voix parmi tant d’autres.
Difficile de ne pas se souvenir des ambitions proclamées par son parti à l’époque de l’installation du Conseil.
N’avait-on pas entendu des promesses de « renversement du système politico-économique haïtien actuel » ?
Des envolées lyriques vite étouffées, semble-t-il, par la douce mélodie des privilèges et des postes confortables.
Quant au bilan de son représentant, l’ancien juge d’instruction Emmanuel Vertilaire, chargé des chantiers Justice et Sécurité durant douze longs mois, il semblerait que les résultats concrets et visibles se soient évaporés dans l’atmosphère port-au-princienne. Mais que voulez-vous, Rome ne s’est pas faite en un jour, et visiblement, certains chantiers sont plus propices à la contemplation qu’à l’action.
Aujourd’hui, un Moïse Jean-Charles visiblement affaibli, avili et déconstruit politiquement se dit déjà prêt à embarquer dans une « prochaine transition politique ». Intelligence stratégique ou fourberie bien rodée ?
On se demande bien qui aura l’insigne honneur de l’y convier, et surtout, si cette fois-ci, les promesses se concrétiseront en autre chose que de vagues communiqués vides et des désillusions amères.
Il convient ici de rappeler que plus de 20 partis politiques et organisations de la société civile, au moins, ont contribué à la création du Conseil présidentiel qui a malheureusement échoué. Parmi lesquels :
- Pitit Dessalines
- Mouvement pour la Transformation et la Valorisation d’Haïti (MTV Ayiti)
- Accord du 21 décembre
- Fanmi Lavalas
- Accord de Montana
- RED/REDH
- Compromis Historique
- Organisation Tèt Kole Ti Peyizan
- Fédération Protestante d’Haïti
- Collectif du 30 janvier
Ainsi, lorsque Moïse Jean-Charles affirme que son parti n’est pas le seul à avoir échoué, on ne peut que saluer cette très rare cohérence politique de ces dernières années. Pour une fois, il ne se prétend pas l’unique naufragé d’un Titanic collectif. C’est la classe politique traditionnelle haïtienne, dans son entièreté, qui a réussi ses projets personnels en faisant échouer un État qui était déjà, depuis bien des décennies, en grande déliquescence sociale, économique, culturelle et politique, et qui ne comptait que sur son élite politique pour recouvrer son image dans le concert des nations. C’est malheureux !
Il est impossible de rester indifférent face à la situation désastreuse que traverse Haïti. Comment ne pas s’indigner devant la cruauté et l’incompétence avérées de ces politiciens corrompus qui, sans vergogne, amassent des fortunes colossales pendant que la majorité de la population lutte pour sa survie ?
Leur avidité obscène contraste violemment avec la misère abjecte d’un peuple sans défense, terrifié par la violence des gangs qui sèment la mort et la désolation.
Ces dirigeants, sans scrupules ni formation, semblent aveugles et sourds aux appels désespérés d’une nation en agonie. Leur soif de pouvoir et d’argent les rend insensibles à la souffrance humaine, les transformant en prédateurs sans cœur qui prospèrent sur le malheur des autres.
Leur gestion calamiteuse des affaires publiques, marquée par la corruption endémique et l’absence totale de vision stratégique, a conduit le pays au bord du gouffre. Cette situation illustre parfaitement les dérives dénoncées dans la théorie de la bonne gouvernance, notamment chez Kaufmann, Kraay et Zoido-Lobatón (1999, “Governance Matters”, World Bank Institute), où la faiblesse de l’État de droit et le contrôle déficient de la corruption sont des marqueurs constants des États en déliquescence.
Il est temps que cesse cette impunité révoltante. Il est impératif que la justice triomphe et que ces fossoyeurs de la nation rendent compte de leurs actes. Le peuple haïtien mérite mieux que d’être livré à la merci de ces vautours politiques et des gangs armés. Un grand et très urgent sursaut national est indispensable pour extirper ce cancer politique et ses germes qui rongent le pays, afin de bâtir enfin un avenir de dignité, de sécurité et de prospérité pour tous.
Sans une émergence politique compétente, intègre et politiquement bien formée, on tardera à se sortir de ce bourbier intelligemment entretenu au détriment de la patrie commune. Il ne peut y avoir de redressement sans leadership vertueux et responsable, tel que théorisé dans la gouvernance participative et responsable par Pierre Rosanvallon (2015, Le bon gouvernement, Seuil), qui insiste sur la légitimité par la transparence, la compétence et la capacité d’écoute des dirigeants.
La médiocrité n’est pas responsable de nos malheurs si nous l’avons nous-mêmes si longtemps bercée et fait croître.
Honte aux fabricants d’ignorants politiques et courage à celles et ceux qui se sont laissé(e)s berner.
Antoine NÉRILUS, citoyen engagé, professeur à l’Université d’État d’Haïti, journaliste, doctorant en sciences politiques et relations internationales, normalien supérieur…