Antoine NÉRILUS
La salubrité d’une ville n’est pas un luxe, mais un symbole de civilisation, un baromètre de gouvernance et un reflet du respect que l’État accorde à ses citoyens. Dans chaque rue balayée, dans chaque canal entretenu, se joue silencieusement la dignité collective d’un peuple. Une ville propre respire la santé, la discipline et la cohésion sociale.
À l’inverse, l’insalubrité urbaine trahit souvent la défaillance des politiques publiques, l’indifférence administrative et le désengagement civique.
Les ordures accumulées dans les rues ne sont pas seulement un problème d’hygiène : elles constituent une menace sanitaire, psychologique et politique. Des études menées en psychologie environnementale (Keizer, Lindenberg & Steg, Personality and Social Psychology Bulletin, 2010) confirment que la saleté urbaine agit comme un catalyseur de désordre et de violence. Selon la Broken Windows Theory (Wilson & Kelling, The Atlantic, 1982), un environnement négligé transmet inconsciemment le message que tout est permis, favorisant ainsi les incivilités et l’agressivité.
L’accumulation d’ordures agit comme une forme d’agression sensorielle continue : odeurs pestilentielles, images de décomposition, invasion de nuisibles. Ces stimuli répétés altèrent le système nerveux et créent un climat de tension latente. Dans les quartiers saturés de déchets, la colère devient plus fréquente, la violence plus banale, et la criminalité trouve un terreau psychologique propice. À l’inverse, un espace propre apaise les comportements, invite à la courtoisie et rétablit la confiance entre les habitants. La propreté, en offrant un environnement stable et respirable, diminue les pulsions agressives et renforce les comportements pacifiques. Elle humanise la ville et rééduque la sensibilité collective.
La science établit clairement que la saleté affecte la santé mentale, favorise la nervosité et détériore le vivre-ensemble. À l’inverse, une ville propre produit un effet de régulation psychique : elle apaise, ordonne et inspire le respect mutuel. Une ville propre, en somme, pacifie.
Bâtir une politique nationale de propreté urbaine, c’est penser la ville comme un espace thérapeutique, où la propreté devient un acte de gouvernance, de prévention et de fierté nationale. Une politique d’hygiène urbaine ne relève pas du hasard ni du geste isolé d’un maire soucieux d’esthétique. Elle s’inscrit dans une logique de bonne gouvernance, fondée sur la planification, la transparence et la responsabilité partagée.
Les ministères de la Santé publique, des Collectivités territoriales et de l’Environnement doivent conjuguer leurs efforts pour concevoir une politique commune de salubrité. Le premier doit garantir le contrôle sanitaire des espaces urbains et sensibiliser sur les maladies liées à l’insalubrité ; le second encadrer les mairies dans la collecte et le traitement des déchets ; le troisième fixer les normes écologiques, promouvoir le recyclage et veiller à la durabilité des actions.
Un État qui se soucie de la propreté de ses villes démontre sa capacité à gouverner dans le concret, à exercer un leadership au service du bien-être collectif.
Ce leadership doit être exemplaire : les dirigeants eux-mêmes doivent incarner la rigueur, la discipline et le respect des normes environnementales.
Un ministre, un maire ou un directeur d’école qui s’engage visiblement dans des campagnes de nettoyage exerce une pédagogie silencieuse, mais puissante. La propreté devient alors non seulement une politique, mais un langage moral, une forme de communication civique entre le pouvoir et la population.
Mais il ne saurait y avoir de propreté durable sans écocitoyenneté. Le citoyen doit être formé à considérer son environnement comme une extension de sa dignité. L’école, dès la maternelle, doit enseigner la valeur du respect de l’espace commun et faire de chaque élève un ambassadeur de la propreté.
L’écocitoyenneté, en ce sens, devient la passerelle entre l’individu et l’État, entre la responsabilité personnelle et l’intérêt collectif.
Enfin, une politique de reconnaissance publique (par exemple une prime annuelle aux quartiers les plus propres) encouragerait la compétition positive et l’engagement collectif. De même, le développement de centres de recyclage dans plusieurs départements du pays permettrait de donner une seconde vie aux déchets et de créer des emplois verts. Il conviendrait également d’associer les universités et les médias à la formation et à la sensibilisation citoyenne, afin que la propreté devienne un réflexe culturel et non une contrainte administrative.
Faire de la propreté urbaine une politique publique, c’est réconcilier l’État et la cité autour d’un idéal commun de santé et de dignité. Là où les rues sont propres, la citoyenneté s’épanouit, la santé prospère et la gouvernance gagne en légitimité.
La propreté n’est pas qu’un acte d’hygiène : c’est un acte de civilisation, un geste politique, un signe d’ordre et de respect de la vie.
Professeur Antoine NÉRILUS, journaliste, politologue, spécialiste en gouvernance de l’État.

