L’Esprit Invincible : Le Parcours d’Haïti, de Vertières vers un Avenir Uni

Discours de l’Ambassadeur Jean PILLARD, prononcé lors de la réunion du Groupe Parlementaire Multipartite sur Haïti, à la Chambre des Lords, Londres, Royaume-Uni.
18 novembre 2024, Londres, Royaume-Uni


Mes Lords, distingués membres du Groupe Parlementaire Multipartite sur Haïti, honorables invités et chers amis,

Je me tiens devant vous aujourd’hui, non en tant que représentant officiel, mais comme un fils fier d’Haïti – une nation forgée par la résilience et définie par l’esprit indomptable de son peuple, qui a affronté les tempêtes sans jamais plier. Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à Lord Griffiths de Burry Port pour son dévouement sans faille. Vos efforts veillent à ce que l’histoire d’Haïti et sa lutte constante demeurent dans la conscience mondiale.

Alors que nous commémorons le 220ᵉ anniversaire de la Bataille de Vertières – cette bataille décisive où les forces révolutionnaires haïtiennes, sous la conduite du général Jean-Jacques Dessalines, ont vaincu la puissante armée napoléonienne commandée par le général Rochambeau – nous nous rappelons que le véritable prix de notre indépendance n’a pas seulement été un tribut en or, mais bien les innombrables vies sacrifiées pour la liberté. Haïti, première République noire et première nation africaine à briser les chaînes de l’esclavage et de la domination coloniale, a entamé sa révolution avec plus de 600 000 âmes réduites en esclavage. À l’issue de cette victoire, près de la moitié avaient péri. Ce fut là le plus lourd tribut – un coût mesuré en sang, en larmes et en sacrifices, ceux de femmes et d’hommes qui ont préféré la liberté à la vie elle-même.

Face à des empires puissants, qui ont déployé les mesures les plus brutales – exécutions, noyades, pendaisons – pour tenter d’éteindre notre quête de liberté, nos ancêtres ont démontré une détermination sans faille. Le courage de ce peuple, incandescent, a survécu à toutes les atrocités, les portant à transcender la peur pour affronter et renverser l’oppression.

Alors que nous approchons du bicentenaire de la dette d’indépendance – un tribut équivalant à des dizaines de milliards de dollars, imposé pour reconnaître notre liberté chèrement acquise – il ne faut pas oublier que ce fut là le deuxième prix que nous avons dû payer. Le monde, réticent à accepter l’audace d’une nation noire se tenant libre, exigea que nous monnayions notre libération. Pourtant, les chaînes les plus lourdes que nous avons brisées n’étaient pas financières, mais celles de l’asservissement et de la servitude imposés.

La lutte d’Haïti n’a jamais été dirigée contre une seule nation, mais contre un système global déterminé à faire de nous un exemple pour avoir défié l’ordre établi. Notre combat a toujours été imposé, opposant nos faibles forces à des adversaires infiniment plus puissants, simplement parce que nous croyions en notre droit à exister dignement.

Aujourd’hui, Haïti se trouve à une nouvelle croisée des chemins. Les mutations globales apportent leur lot d’incertitudes, tandis que discours et politiques à notre égard prennent des tournures défavorables. Les promesses de restreindre les programmes qui profitent à notre peuple et les attaques sur notre dignité collective illustrent les défis à venir. Toutefois, rappelons-nous que nos ancêtres ont payé leur liberté de leur sang. La solution à nos luttes ne viendra ni de l’étranger, ni d’une quelconque main tendue. Elle doit émaner de nous-mêmes, portée par la force de notre peuple, tant au pays qu’à travers la diaspora.

Cependant, nous devons également reconnaître que nos plus grands défis ne sont pas uniquement extérieurs. Les divisions internes, telles celles qui jadis coûtèrent la vie à Dessalines, continuent de retarder notre marche vers le progrès. Trop souvent, nous sommes prisonniers de cycles répétitifs où les anciennes discordes resurgissent, freinant nos aspirations collectives. Mais nous ne sommes pas captifs de notre passé. Nous possédons la force de rompre ces cycles – non pas en répétant l’histoire, mais en traçant une voie nouvelle, fondée sur l’unité et une vision commune.

En nous souvenant de Vertières, reconnaissons que le combat d’Haïti n’a jamais été uniquement pour elle-même, mais pour tous ceux qui portaient les chaînes de l’oppression. Notre révolution fut un phare illuminant le chemin vers la liberté pour les peuples asservis du monde entier. Même ici, en Grande-Bretagne, alors que le mouvement abolitionniste prenait de l’ampleur, le courage d’Haïti a contribué à la réflexion morale qui mena à l’abolition de l’esclavage dans ses colonies.

Aujourd’hui, alors qu’Haïti fait face à de nouveaux défis, je pose la question : où est la solidarité qu’Haïti a autrefois inspirée ? Le combat pour la dignité, la justice et l’égalité transcende les frontières. Nous appelons à des alliés, non pas comme bénéficiaires, mais comme égaux.

L’union fait la force – cette vérité, universelle, n’est pas exclusivement haïtienne. Le combat pour la survie d’Haïti appartient à toutes les nations qui valorisent la liberté, la dignité humaine et la justice.

Mes Lords, Haïti ne se relèvera pas dans l’isolement. Mais qu’on se tienne à nos côtés ou non, Haïti se relèvera. De Vertières aux rues de Port-au-Prince, nous avons porté la flamme de la liberté à travers les temps les plus sombres. Et aujourd’hui, j’appelle le monde à veiller à ce que cette lumière continue d’illuminer la voie pour tous ceux qui recherchent la justice.

À ceux qui doutent de nous, à ceux qui pensent qu’Haïti est perdue, je dis : regardez-nous nous relever.

Pour Haïti. Pour la liberté. Pour un avenir durable.

Je vous remercie.