
Les femmes haïtiennes figurent parmi les populations les plus touchées par les inégalités structurelles qui affectent la société. Ces inégalités concernent notamment l’éducation, la santé, l’économie et l’emploi. Plus de la moitié des femmes haïtiennes, en particulier celles issues des milieux dits andeyò, vivent dans des conditions économiquement précaires. En effet, la majorité d’entre elles vivent en dessous du seuil de pauvreté ; l’accès à des emplois décents reste très limité, bien que beaucoup évoluent dans le secteur informel.
Selon l’UNFPA-Haïti (2017), 64 % des femmes en milieu rural ne possèdent ni maison ni terre. Les disparités en matière d’accès à l’éducation demeurent visibles malgré quelques progrès. L’écart est d’autant plus marqué selon le lieu de résidence, les filles et les femmes vivant en zones rurales se retrouvant en bas de l’échelle. La question de l’éducation des filles et des femmes met ainsi en évidence le problème fondamental de l’exclusion en Haïti (Trouillot, Haïti Perspectives, 2013).
L’accès aux soins de santé demeure également limité, en particulier pour ce qui concerne la santé sexuelle et reproductive. En 2022, Haïti enregistrait un taux de mortalité maternelle de 529 décès pour 100 000 naissances vivantes, soit le plus élevé de la région caraïbe. Ces décès surviennent majoritairement en milieu rural. Seules 30 % des femmes rurales bénéficient d’une assistance qualifiée à l’accouchement (MSPP, EMMUS VI, 2017, p. 141). Le manque de ressources financières et d’infrastructures représente un obstacle majeur à l’accès aux soins de santé.
Cinq ans après la mise en œuvre de la politique nationale de promotion et de protection sociale par le ministère des Affaires Sociales et du Travail (avril 2020), les résultats concrets se font encore attendre. À travers toutes ces lacunes, il apparaît clairement que les femmes issues des milieux ruraux sont souvent négligées dans les politiques publiques. Leur accès aux services sociaux de base reste un enjeu critique et sous-estimé dans les discussions sur l’égalité de genre et le développement social.
Objectif de l’étude
Ce travail vise à mettre en lumière l’importance de la protection sociale pour les femmes rurales, à exposer les barrières qu’elles rencontrent, les conséquences de cette négligence, et à proposer quelques pistes de solutions.
La protection sociale : un droit fondamental
La protection sociale est un système visant à garantir une couverture face aux aléas de la vie. Elle constitue un pilier essentiel du développement socio-économique et du bien-être collectif. Elle a un impact profond à tous les niveaux de la société, en assurant aux travailleurs et à leurs familles l’accès à la santé, à l’éducation, à l’autonomisation économique, ainsi qu’à une protection à long terme.
Selon la Banque mondiale (2025), la protection sociale a un effet transformateur, car elle favorise la résilience des populations vulnérables, développe le capital humain et renforce la stabilité économique. Elle est un droit crucial pour garantir la dignité humaine, notamment pour celles et ceux privés des moyens d’exercer pleinement leurs droits fondamentaux (ONU, s.d.).
Cependant, les services de protection sociale en Haïti n’ont pas pleinement intégré la dimension du genre, négligeant les besoins spécifiques des femmes rurales. Dans une perspective de développement durable, l’égalité de genre doit être un élément transversal de l’agenda des objectifs de développement durable (ODD), notamment l’ODD 5 : « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ».
Enjeux socio-économiques
Divers paramètres socio-économiques entravent l’accès des femmes rurales haïtiennes aux services de protection sociale. Le premier est le faible niveau d’éducation et de formation. Les responsabilités domestiques empêchent de nombreuses femmes de participer à des formations ou à des activités génératrices de revenus.
Le second paramètre concerne l’emploi. La majorité des femmes rurales travaillent dans l’agriculture et le commerce informel. Elles n’ont souvent pas accès à un emploi formel, et même lorsqu’elles en ont un, la rémunération est insuffisante. Cela les rend économiquement vulnérables et peu en mesure de couvrir les frais liés à certains services essentiels. De plus, seulement 9 % d’entre elles disposent d’un compte bancaire (EMMUS VI, 2017, p. 363).
Par ailleurs, les projets agricoles négligent souvent les femmes, bien qu’elles soient essentielles dans toute la chaîne de production. Le manque d’infrastructures et d’information complique leur accès aux établissements éducatifs et sanitaires.
Leur isolement géographique fait que les programmes sociaux les atteignent rarement. Elles sont également exposées à la violence, à la stigmatisation et à la discrimination, ce qui les dissuade de recourir aux services disponibles.
Conséquences sociales
Le faible accès des femmes rurales aux services de protection sociale a des répercussions à long terme. Il limite les opportunités économiques, perpétue le cycle de la pauvreté et aggrave la précarité. L’absence de soins de santé adéquats augmente leur vulnérabilité, compromettant ainsi leur capacité à participer pleinement à la vie sociale et économique du pays.
Recommandations
Améliorer l’accès des femmes rurales aux services de protection sociale nécessite un engagement concerté entre les autorités publiques et les acteurs sociaux. Il faut :
- mettre en place des politiques publiques inclusives adaptées aux réalités rurales ;
- renforcer l’éducation et la formation technique des femmes rurales ;
- développer des programmes de crédits et de microfinance spécifiques ;
- étendre les services de santé dans les zones éloignées ;
- améliorer les infrastructures routières pour faciliter l’accès aux services ;
- impliquer les femmes rurales dans les processus de décision locaux et nationaux.
Conclusion
L’accès des femmes rurales aux services de protection sociale doit devenir une priorité nationale. Il représente un levier puissant pour un développement socio-économique durable. L’expérience montre que les pays qui investissent dans l’amélioration des conditions de vie des femmes sont plus prospères (ONU, 2015).
En matière de santé, il est fondamental de garantir l’accès universel aux services de santé sexuelle et reproductive. Dans le domaine de l’éducation, les infrastructures doivent être renforcées et les programmes adaptés aux réalités rurales.
L’autonomisation économique des femmes rurales passe par des formations pertinentes et leur inclusion dans les projets de développement. L’ONU encourage également le renforcement des capacités des femmes, les considérant comme des actrices du développement, et non de simples bénéficiaires de programmes d’aide.
Les besoins spécifiques des femmes rurales doivent être au cœur des luttes pour l’égalité et la justice sociale.
Carly-Marc Wensley ARCHILLE
Formation en Travail Social et en Sciences Économiques